samedi 11 octobre 2008

Kant, pornographe métaphysique.


(image dédicacée for ABCD)


La faillite de la modernité ne fait guère de doute en ce sens que les objectifs de celle-ci, la Paix, la Prospérité, le Bonheur ne sont pas atteints et ne le seront pas. On appelle parfois cette modernité libéralisme ou capitalisme ; mais ceux là même qui croient dénoncer Léviathan parlent par sa voix. Car Léviathan est une bête aux bouches innombrables.
" En contemplant tes dents effroyables et ta face semblable aux flammes consumantes de la mort, je ne puis voir ni le ciel ni la terre ; je ne trouve pas de paix : aie pitié de moi, ô Seigneur des Dieux, Esprit de l'univers ! Les fils de Dhritarâshtra avec tous ces conducteurs d'hommes, Bhîshma, Drona, Karna et nos principaux guerriers, semblent se précipiter impétueusement d'eux-mêmes dans tes bouches effroyables armées de crocs ; j'en vois qui sont saisis entre tes dents, la tête broyée." (Bhagavad-Gîtâ )

L'homme n'est pas libéré de la malédiction du travail par le Progrès, bien au contraire le Travail est l'obsession de tous. Le siècle endormi a vu les guerres et les génocides les plus massifs quantitativement jamais réalisés ; quant au bonheur, je vous en laisse juge, non par l'appréciation personnelle de la vie, mais par l'absence des conditions du Bonheur, qui ne peuvent qu'illusoirement être assimilées à la Paix et à la Prospérité matérielles, pourtant déjà bien absentes.

De très nombreux penseurs issus de toutes les traditions intellectuelles condamnent cette modernité fuyante. Mais le plus souvent, ils condamnent les effets les plus détestables, sans discerner le système entier ; car ils parlent le langage du système et vivent dans son monde sans pouvoir en sortir, comme des poissons dans l'eau. Le poisson vit dans l'eau, et aussi loin qu'il aille il est toujours dans l'eau ; sa vie en dépend. Le système intègre les opposés en son sein plantureux, et souvent les rebelles sont des éléments du système. Dans leur caverne, ils voient des ombres et poussent de grands cris d'indignation, mais ce sont leurs propres ombres qu'ils condamnent.

Nous devons nous faire batraciens, reptiles, capables de fouler des zones inhabitées, s'égarer dans la nuit des temps, pour sortir du Système, adopter des formes étranges, approximatives, absolues. Sans doute se verra-t-il des monstres.

Le caractère indéfini de la croissance en montre assez l'imposture quant à sa promesse d'équilibre, de paix et de bonheur- ils sont renvoyés nécessairement vers le futur, toujours et encore confiture demain, jamais confiture aujourd'hui- et lie le progressisme sous toutes ses formes au Système.

De manière analogue, la philosophie de la connaissance a travaillé à déterminer à priori le connaissable, et à le réduire à tout ce qui peut servir la puissance mondaine. Il y a analogie fonctionnelle entre la Critique de la Raison Pure de Kant et le matérialisme épistémologique triomphant aux XIX et XX siècles : tous deux interdisent l'accès au monde symbolique, posé comme fantastique, pur produit de la démesure humaine. Pour eux l'imagination humaine est plus productrice que l'Être tout entier, et peut librement créer des images bien au delà des limites de celui-ci. Quelle puissance extraordinaire! Tous deux condamnent les témoignages idiographiques qui prennent pour des faits ce que leur thèses leur interdit de reconnaître vrai, que ce soient les prophètes, les spirites ou les sorciers, quand bien même cela viendrait d'un des leurs les plus doués, de Pascal ou de W. James ; et ainsi le Système peut-il renvoyer aux ténèbres de l'illusion, par le marteau de la "vérité scientifique", tout les clous qui dépassent du monde de la Raison idéologique. Condamner à priori des témoignages, privilégier la théorie face aux faits non réplicables, semble pourtant assez dogmatique-mais cette vérité demeure voilée. Un principe de base d'Ür est que l'imagination est une puissance ontologique. L'homme s'appuie nécessairement sur elle pour créer, et de ce fait vit l'imagination comme une négation locale de l'Être ; mais cette perspective est partielle.

Nous rêvons en l'Être. "Le rêve est une manifestation de la vérité" (Hagakure). Il existe une rêverie de l'Être même, une puissance de création toujours déjà présente. L'Être rêve.


De manière analogue quoique locale, la pornographie est un érotisme déployant au maximum la puissance sexuelle, par rapports de force, taille des sexes, hauteur des hurlements, fornication violente et vide, etc ; ainsi la pornographie, vide de monde symbolique, est-elle face à l'érotisme des Tantras l'équivalent fonctionnel de la Critique de la Raison Pure face à la Métaphysique du désir spirituel. La compréhension de l'érotisme tantrique par le Système est la projection horizontale d'un espace sexualisé ; à savoir, un rapport sexuel "normal". Hauteur, largeur et profondeur sont éliminés. Pour un moderne, le symbolique des Tantras est une manipulation dans le but d'avoir un rapport sexuel, une simple hypocrisie de prêtre.

Entre Kant et la pornographie, il y a analogie fonctionnelle globale, qui est d'orienter vers le déploiement intramondain de la puissance, vers la pratique, l'ensemble des forces humaines. Le Système se proclame réaliste, au nom du réel. En réalité, la négation ontologique du Symbolique creuse la polarité, et l'éloigne indéfiniment de l'homme, qui reste une créature toujours plus morcelée, partielle, soumise à une déréliction aveugle qui s'identifie à la toute puissance dans le siècle. Le symbolique, toujours susceptible de ressurgir par violence, est renvoyé aux mondes souterrains par diverses sciences, comme la psychanalyse. Le rôle de cette dernière est d'assimiler le symbolique à la puissance, de le rendre compatible, d'émousser sa virulence gênante.

Il n'est pas de théâtre sans cérémonie sacrée. Ainsi le magnifique Yerma, de Garcia Lorca, mis en scène par Vicente Pradal, qui finit par une hiérogamie sublime. L'art passe par toutes les forces de l'être.

Moi, Christian Fletcher, je l'affirme, j'ai vu la réussite des sorciers et des sorcières. Lors d'une cérémonie obscure, J'ai senti sur ma nuque le souffle lent du Diable, j'ai été bouleversé par sa présence silencieuse, le poids vertigineux de sa haine ancienne. Et je suis encore là, et j'en témoigne.

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